J’ai commencé à écrire d’un coup à propos du cancer et de mes ressentis, sans même prendre le temps de partir de 0. Je vous parle de mon expérience d’aidante, mais est-ce que tout le monde a déjà entendu ce mot, et qu’est-ce qu’il vous évoque ?
Je me rappelle très bien du jour où j’ai vu le mot « aidant » pour la première fois : j’étais à la clinique où mon mari et moi passions nos journées et nos nuits à cette période (ce sera l’objet d’un article, un jour, peut-être) et je traînais sur internet, à la recherche de quelque chose, quelqu’un, n’importe quoi, qui pourrait m’aider dans cette toute nouvelle situation. C’était donc au début de tout ça. Je ne sais plus comment mais je suis tombée sur une page qui parlait des aidant.e.s. Et je me souviens m’être dit « hey, mais on a carrément un nom ! Je suis une aidante ! » et j’étais soudainement rassurée : on existait, on était une vraie communauté, j’allais pouvoir trouver de l’aide !
J’ai vite déchanté.
Je n’ai peut-être pas assez cherché, ou bien pas cherché au bon endroit : mais en tant qu’aidante je n’ai pas trouvé autant de soutien que je le pensais. Et surtout, pas autant de reconnaissance que ce dont j’avais besoin.
Les aidant.e.s sont… partout. On parle surtout d’aidant.e familial.e. Ce sont des personnes qui viennent en aide à des proches malades et/ou handicapées, s’occupent et prennent soin d’eux.elles. Ca peut aussi bien passer par prendre en charge des corvées quotidiennes, aider la personne à se laver, s’habiller, être responsable des tâches administratives, que le soutien moral, et j’en passe, évidemment. Alors quand on parle d’aidant.e, on pense plutôt à des parents qui s’occupent d’enfants handicapés, des enfants qui s’occupent de leurs parents âgés, ou même des couples âgés dont l’un.e est dépendant.e de l’autre. Mais des jeunes aidantes de moins de 30 ans qui s’occupent de leur presque aussi jeune conjoint atteint de cancer ? Ce n’est pas vraiment ce qui vient à l’esprit en premier.
Au fil de mes recherches, je suis surtout tombée sur des questions de reconnaissance financière de l’aidant.e. Pour certaines situations, je vois très bien en quoi ça pourrait aider. Certaines personnes sont aidantes à temps plein, et doivent parfois faire énormément de sacrifices personnels et professionnels. Pour mon cas, je ne m’estimais pas « mériter » une aide financière, en tout cas pas pour mon rôle d’aidante, mais ce dont j’avais surtout besoin, c’était d’une reconnaissance tout court. Je voulais exister. Je voulais trouver d’autres gens comme moi, j’étais et je suis persuadée qu’ils existent. Je ne les ai simplement pas trouvés.
J’ai eu un mal fou à trouver ma place, et encore aujourd’hui. Quand on n’est pas la malade, mais qu’on ne rentre pas non plus dans la catégorie habituelle des aidant.e.s, où est-ce qu’on se met ? Tous les articles et ouvrages que j’ai pu trouver en rapport avec le cancer traitaient : du cancer en lui-même, des patient.e.s, des traitements, de l’après traitement. Il s’agissait soit d’ouvrages médicaux, soit de témoignages de malades. Des livres sur les proches, ou des témoignages de proches, j’en ai vu très peu, voire pas.
En tant qu’aidante, et aidante d’une catégorie plutôt rare, je passe encore par beaucoup de phases contradictoires et d’émotions très compliquées à gérer. Je ne peux pas parler pour la totalité des aidant.e.s : je ne vous livre que mon expérience, comme toujours, complètement personnelle et subjective.
Être aidante si jeune et pour son conjoint est une situation que je ne souhaite à personne. On se dit toujours qu’on n’a pas le droit d’être mal, car on n’est pas malades. Qu’on n’a pas le droit de se plaindre, car on est en bonne santé. Je ne cesse de culpabiliser à chaque fois que je suis au fond du trou (et croyez-moi, c’est récurrent). Quand lui va bien et pas moi, je me demande pourquoi. J’ai toujours peur qu’on pense que j’exagère, que ma réaction n’est pas normale, qu’on se dise que ma situation n’est pas si difficile que ça. Je me dis parfois que d’autres aidant.e.s sont bien plus à plaindre que moi, qu’au moins mon mari n’est pas dépendant à 100% de moi. Que je suis bien entourée, que je devrais relativiser, être positive. « Y arriver ».
A combien mesure-t-on la souffrance psychologique, le traumatisme, l’épuisement moral ? Comment évalue-t-on l’injustice, la violence, la cruauté d’une situation ? Comment sait-on que quelqu’un a atteint ses limites, que quelqu’un n’a plus la force physique et mentale ?
La réponse dans le prochain épisode…
J’avoue que je n’avais jamais entendu parler de ce terme « d’aidant » avant tes articles sur la question, je pense effectivement que ta situation est très très mal connue et qu’il est difficile de se rendre compte ce que tu traverses toi, alors même qu’en lisant tes mots, cela parait bien compréhensible ! J’ai eu l’occasion de me rendre compte qu’on focus toujours la quasi totalité de notre énergie sur les personnes qui sont effectivement malades sans prendre suffisamment en compte l’entourage, qui souffre autant, parfois plus et qui se place bien souvent volontairement en retrait, ne se sentant pas légitime à souffrir lui aussi… Je pense par exemple au cas des dépressions où la personne malade peut avoir tendance à « vampiriser » complètement la personne la plus présente pour la soutenir (c’est le cas que je connais ^^). Je pense que tes articles sont très très importants, c’est très important de parler des aidants, déjà pour pouvoir reconnaitre leurs difficultés, y apporter du soutient et aussi car, sans aidant, les malades se porteraient d’autant plus mal ! C’est un maillon essentiel qu’il faut protéger et chérir !
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Oui c’est difficile de prendre toutes les parties en compte quand il s’agit de maladie (peu importe la maladie). Evidemment c’est complètement normal de penser en premier aux personnes touchées physiquement/mentalement par la maladie. Les aidant.es ont une expérience toute autre et diffère forcément selon les personnes, les personnalités, les maladies… Mais je me dis que livrer mon expérience ne peut pas faire de mal et pourrait libérer un peu la parole à ce sujet 🙂
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Pour avoir été aidante (maltraitée psychologiquement par la personne que j’aidais, mais aidante tout de même), je confirme qu’on a aucune reconnaissance et aucun réseau d’aide – ou alors si peu. Je ne vois qu’une manière de changer la donne : prendre la parole, comme tu le fais si bien (et comme j’espère réussir à le faire un jour) et mettre en lumière ce rôle si difficile d’accompagnement des proches souffrant de maladie ou de handicap. Merci encore pour ce partage 😘
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Et merci pour tes encouragements permanents dans ce projet long et compliqué ❤
Je te souhaite d'y arriver un jour, si c'est ce dont tu as envie ! Je serai là pour toi si ce jour arrive 🙂
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Ton témoignage est d’autant plus précieux (vital ?) que tu fais partie de cette « catégorie plutôt rare » qui passe complètement à la trappe…
Culpabiliser d’aller mal… un grand classique chez moi. Toutefois, le grand effort de « connexion » à mes émotions que je fais depuis près d’un me permet de gérer cette culpabilité bien différemment que par le passé. La souffrance ou le malêtre ne sont pas anodins. Si on les ressent, c’est que notre cerveau a été « touché » par quelque chose qu’on n’a pas toujours identifié (et qu’on n’arrivera pas toujours à identifier, d’ailleurs, tant le subconscient est un territoire parfois inaccessible). J’ai donc trouvé que laisser la place au malêtre, dans le sens, le ressentir, le laisser s’exprimer dans le corps au lieu de le chasser, fait parfois DU BIEN. Aussi paradoxal que cela puisse paraitre.
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Je suis entièrement d’accord avec toi, et c’est ce que j’essaie de faire également : accepter ces moments de souffrance au lieu de les refouler. Je n’y arrive pas toujours… Mais c’est nécessaire, je pense, pour justement tenter d’identifier d’où vient ce mal-être.
Les séances avec ma psy m’aident beaucoup dans ce sens. Quand je vais bien ou pas bien, elle me pousse à comprendre pourquoi. A chaque fois je me dis qu’il n’y a pas de raison spéciale mais en décortiquant les derniers événements, les dernières sensations, je finis toujours par comprendre ce que mes émotions négatives (ou positives !) veulent me dire. Après, il s’agit de les écouter ! Une autre paire de manche 😉
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