Alors que le déconfinement tant attendu par la majorité d’entre nous semble être bien parti, il est encore temps de vous parler de nos vies pendant le confinement et cette période de crise d’une manière générale. Ou quand une pandémie se rajoute au cancer. Des fois qu’on s’ennuie.
Quand on a commencé à comprendre qu’il était inévitable que le coronavirus toucherait la France, j’ai également commencé à paniquer. On n’était encore qu’en février, on sentait que ça allait être notre tour mais les discours différaient entre indifférence et paranoïa. Quand on vit avec quelqu’un en pleine chimio et donc, avec un système immunitaire défaillant, on s’intéresse tout de suite de plus près à tout ce qui touche à la santé.
Quelques jours avant que le confinement ne soit officiellement déclaré, Ciaran et moi avions pris la décision de nous isoler. Après discussions, c’est ce qui nous semblait le plus sage : ne voir personne tant que la situation ne s’était pas améliorée. Alors quand tout a fermé et qu’on nous a obligé.e.s à rester chez nous, il y avait au moins deux heureux : mon mari et moi.
Les huit semaines de confinement strict ont été une drôle de période pour tout le monde. Mais pour nous, elles furent surtout synonyme de répit. Et pour moi, mieux encore, de reconstruction. Je ne vais pas tant parler de nos personnalités introverties qui ont fait qu’on était ravi.e.s de rester chez nous sans avoir à chercher des excuses pour refuser des invitations à sortir, mais surtout de l’impact du coronavirus et du confinement de mon côté, en tant qu’aidante.
Le confinement est arrivé à un moment particulièrement opportun pour moi. Je sortais d’un arrêt maladie de deux semaines et j’ai enchaîné tout de suite sur le télétravail. Je parlerai sûrement dans un autre article de ce qui m’a menée à cet arrêt, qui fut le début d’une nouvelle période pour moi. Mais toujours est-il que le confinement, c’était globalement ce que je pouvais espérer de mieux à ce moment-là. Je commençais tout juste à essayer d’aller mieux. Et voilà qu’on m’offrait sur un plateau tout ce dont j’avais besoin : du repos, du répit, du calme. Pendant ces huit semaines, j’ai pu me recentrer sur moi-même, réévaluer mes priorités. Et enfin dormir ! Je n’aurais peut-être pas pu écrire cet article si je n’avais pas eu ces deux mois de tranquillité.
Quand tout le monde se plaignait que le pays soit à l’arrêt, que leurs projets de voyages étaient annulés, qu’il était impossible de planifier quoi que ce soit, que tout était incertain, flou, angoissant, je sortais doucement de l’eau. Tout ce que la majorité des personnes vivaient autour de moi, je l’avais déjà vécu depuis le mois d’octobre. Ne pas savoir où on va. Ne pas comprendre ce qu’il se passe. N’avoir aucune visibilité. Devoir annuler ses projets sans savoir quand ils auront lieu ou s’ils auront lieu un jour. Mal dormir, voire ne pas dormir. Être angoissé.e. Avoir un tas de questions et si peu de réponses. Avoir peur. Perdre un salaire. Perdre de l’argent. Devoir faire attention à tout. Remercier les soignant.e.s. Ne pas pouvoir bouger loin. Vivre au jour le jour. J’ai honnêtement eu l’impression d’avoir une longueur d’avance. Je me suis dit que contrairement à tous ces gens démunis face à la situation, je connaissais déjà mes ressources, je savais déjà gérer une situation improbable et difficile. « Bienvenue dans ma vie », je rigolais.
Je me sentais presque moins seule, d’un coup. On était tou.te.s plus ou moins dans le même bateau. Je m’estimais même chanceuse : je pouvais toujours travailler, je vivais dans un appartement assez grand pour nous deux, ma relation était saine et stable, j’avais toujours de quoi manger. A part la chimio en cours, il ne manquait plus qu’un balcon ou un jardin pour que le confinement soit parfait !
Mais malgré ça, j’ai aussi vécu cette période comme une sacrée double peine. D’abord le cancer, et maintenant la pandémie ? C’est quoi le problème ? J’en voulais à toutes les personnes que je voyais ou entendais ne pas prendre le Coronavirus au sérieux, à toutes les personnes qui ne respectaient pas les règles par pure fierté française. J’en voulais aux media qui ne parlaient jamais des patient.e.s atteint.e.s de cancer, en cours de traitement ou sortant de traitement, et encore moins de leurs aidant.e.s. J’en voulais à tous les gens qui disaient « on est les oublié.e.s de la crise » car on est tant, à avoir été oublié.e.s. J’en voulais à toutes celles et tous ceux qui dévalisaient les supermarchés et occupaient les créneaux de livraison alors que d’autres en avaient plus besoin. J’en voulais aux personnes aisées et chanceuses qui arrivaient quand même à se plaindre. J’en voulais à tout le monde et à n’importe qui, pour tout et n’importe quoi. Mais principalement, j’en revenais toujours à la même chose : certes, nous vivons plutôt bien le confinement, mais tout ce qu’on traverse, ça se rajoute au reste. Que se passerait-il si je tombais malade ? Si Ciaran tombait malade ? A quel point les personnes à risques sont-elles à risques ?
Et maintenant ? Le confinement m’a globalement permis de me poser mais le déconfinement qui a suivi et qui est en cours est plus compliqué à vivre. Jusqu’ici, on appréciait les rues vides, le silence. A part quelques réfractaires le confinement a été bien suivi à Toulouse : je m’en suis rendue compte lorsque tout le monde a été autorisé à sortir à nouveau et que les rues se sont dangereusement remplies. Et maintenant, je fais partie de ces personnes (nombreuses, peut-être ?) qui n’arrivent toujours pas à sortir vraiment, qui sont physiquement anxieuses quand trop de monde les entoure. On nous dit que l’épidémie est « sous contrôle ». Je ne sais pas quoi croire, quoi penser, quoi faire. Dans le doute, Ciaran et moi avons gardé notre rythme de confinement. Depuis le 11 mai, le seul changement dans notre routine est qu’on sort plus loin, plus longtemps. Mais toujours pas question de voir des gens, ni même d’aller au supermarché : j’ai cru devenir folle à force de chercher des créneaux de livraison, de remplir des paniers qui disparaissaient à cause d’un bug internet, d’arriver au paiement en ligne et que plus rien ne fonctionne, de devoir prévoir pour des semaines pour éviter de commander régulièrement, de recevoir mes courses avec un tas de produits manquants.
83 jours maintenant et le temps devient long. 83 jours sur les 243 depuis le début et j’atteins mes limites.
Je suis heureuse de lire que le confinement s’est relativement « bien passé » pour vous. Dans des situations difficiles, la suppression des liens sociaux directs et la liberté de sortir, de « prendre l’air » peut avoir un effet psychologiquement horrible et qui est malheureusement difficile à gérer (je pense aux personnes qui souffrent de dépression, de troubles alimentaires, d’handicap, de violences domestiques etc). On ne s’imagine pas toutes les difficultés que peuvent avoir au quotidien toutes les personnes qui font face à ce genre de situation, j’avoue n’avoir eu aucune pensée pendant le confinement pour les patients atteints de cancer, encore moins pour leurs aidants, car cela ne m’a jamais traversé l’esprit, je n’en ai entendu parler nul part, je n’ai jamais été sensibilisée à cela. Je trouve donc cela d’autant plus important que tu t’exprimes sur le sujet, que tu fasses prendre conscience de ce problème !! Cela ne te paraît peut-être pas, mais je trouve que ton blog joue un très grand rôle avec ce genre d’article 🙂 (Attention, je ne veux en aucun cas te mettre la moindre pression sur les épaules sur le fait de devoir écrire d’autres articles etc. Ce que tu as déjà fait est énorme !) On a un peu trop tendance à vivre dans « sa bulle », à ne voir que les personnes autour de nous qui souvent sont du même milieu social, partagent les mêmes valeurs, le même mode de pensées, votent parfois pour les mêmes partis que nous et on en arrive à ne plus se comprendre du tout en tant que société et gens différents.
J’ai également beaucoup de mal avec le fait que beaucoup de choses reposent sur nos responsabilités individuelles en ce moment. Je trouve cela beaucoup trop dur de prendre la décision de « est-ce que je sors ? Est-ce que je peux voir telle personne ? Est-ce que ce n’est pas trop risqué d’aller faire ses courses dans tel grand supermarché ? Est-ce que je peux voir mes parents/grands-parents sans risque pour eux ? ». Je trouve cela hyper angoissant, j’ai peur de prendre une mauvaise décision, de prendre un risque parce que je ne suis pas assez prudente, de l’être trop et de me rendre malheureuse, etc. Je suis un peu dans le même état d’esprit que toi, à ne pas trop savoir quoi faire ! Le temps apportera forcément des réponses, il faut être patient ! Je vous souhaite encore plein de courage et de bonnes ondes !
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Je me retrouve bien dans tous ces questionnements !! J’espère fort que tu as raison et que le temps nous apportera les réponses 🙂
C’est normal que tu n’aies pas pensé aux patients atteints de cancer, ni à leurs aidants : tant qu’on ne vit pas une situation de près ou de loin, c’est complètement humain de ne pas toujours penser à tous les cas de figures ! Ce serait même épuisant émotionnellement je pense. C’est naturel de ne pas penser à tout le monde, tout le temps… Je suis tout à fait d’accord avec toi (pour changer haha) sur le fait qu’on a tendance à rester entre personnes des mêmes opinions, je m’en suis beaucoup rendue compte pendant le confinement aussi. Et c’est aussi mon objectif d’ouvrir la parole sur un sujet pour ainsi dire jamais traité. J’aimerais beaucoup réussir à sensibiliser à ce sujet toute personne qui voudra bien me lire. Je suis ravie que mes lectrices habituelles, toi y comprise, m’écrivent des retours si positifs et encourageants !!! Ca me fait du bien de vous retrouver toutes !
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Dire qu’à l’heure où je lis cet article, presque un mois plus tard, il est toujours bien délicat de savoir si tout est derrière nous ou pas… dans cette incertitude des choses je comprends bien que le temps commence à être long pour vous !
Effectivement, confinement et chimio, on n’en a pas du tout entendu parler… mais comme tant d’autres sujets ignorés au quotidien. Tant mieux s’il a été pour toi une période de ressourcement ! Je crois que je l’ai pris un peu comme ça aussi, ou en tout cas d’introspection nécessaire.
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Cette année plus que jamais je me suis rendue compte de la multitude effroyable de sujets dont on ne parle absolument jamais, alors qu’on parle toujours des mêmes… Ce qui me donne encore plus envie de parler de mon expérience, pour que des gens qui n’aient aucune idée de ce que ça peut être puisse se dire que ces situations existent.
Une introspection nécessaire, c’est exactement comment ça que j’ai vécu le confinement, qui pour moi est arrivé pile au moment de ma vie où j’en avais le plus besoin !!
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